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130518 - chadôgu (茶道具) > chaire (茶入 )
Le chaire (se prononce "tcha-iré", litt. : "conteneur à thé) est un des plus précieux objets du monde du thé. Il est généralement utilisé pour contenir le koicha, un thé en poudre que l'on prépare de manière à obtenir une consistance épaisse s'approchant de celle d'une peinture en pot. Notons que ce mode de préparation est le plus ancien, le mode "original" d'une certaine manière. C'est bien plus tard, vers la fin de la période Muromachi (1336 et 1573), qu'apparut le mode de préparation du thé battu appelé usucha (Litt. : "thé léger", que souvent on appelle "thé mousseux", à tort, puisque l'obtention de mousse n'est pas systématique à l'ensemble des écoles de thé nippones). Retenons qu'aujourd'hui, koicha est réservé aux chakai (茶会, rencontres de thé) les plus formels, tandis que usucha, plus communément employé, revêt un caractère informel et plus convivial.
Importé de Chine, tout comme l'ensemble des autres objets nécessaires à la préparation du thé (唐物, karamono), le chaire est un petit réceptacle en céramique fermé par un couvercle en ivoire (gebuta) qui pouvait renfermer des "médecines", des huiles, etc. Le verso du gebuta est recouvert d'une feuille d'or. A l'apogée du thé, qui correspond à une des phases les plus chaotiques de l'Histoire du Japon (Epoque Sengoku, litt. : "Âge des provinces en guerre" qui s'étend du milieu du XVe à la fin du XVIe siècle), nombre de guerriers pratiquaient sadô ( il existe d'innombrables histoires à propos d'objets de thé et de guerriers. Oda Nobunaga reste sans doute le premier à avoir rétribué avec des objets de thé les samurai qui savaient s'illustrer au combat. Si l'on se réfère à l'ouvrage de A.L. Sadler - référence en fin de billet -, le chaire était l'ultime objet que tout guerrier devait posséder, au moins en un exemplaire. En seconde position venaient les kakejiku , puis les sabres : un guerrier sans culture, n'était rien d'autre qu'une bête). Ainsi, il est dit que si le thé était empoisonné, le brillant de l'or du gebuta en était alors altéré…
Quoi qu'il en soit, c'est à l'intérieur d'un chaire que Eisai rapporta des graines de théiers de son second périple en Chine (voir billet n°120901 au sujet du furo), ainsi, les chaire les plus convoités étaient ceux qui provenaient du continent, et tout particulièrement de Chine. A cette époque, les glaçures sont sombres et tout comme avec le chashaku (voir billet n°130410), ces karamono hors de prix, vont être copiés et déclinés à l'infini par les potiers japonais (en premier lieu par ceux de la région de Seto qui tâcheront de s'approcher le plus possible de la glaçure sombre originelle (comme sur la première photo qui illustre ce billet). Ces copies portent le nom de wamono (和物, litt. : "objets japonais", le terme s'applique à tout objet fabriqué au Japon, il n'est en rien réservé aux chaire). En pratique n'importe quel conteneur en céramique (de petite taille) pourvu d'un couvercle peut faire office de chaire. Ainsi, le principe de mitatemono (le fait de détourner l'usage d'un objet) que nous avons déjà évoqué à maintes reprises, fut appliqué à de petites vaisselles importées de tout le continent asiatique dans un premier temps, (shimamono, 島物, litt. : "objets des îles"), puis au fil des siècles, à l'ensemble des autres continents. Sôki sensei (mon maître de thé) possède un magnifique chaire qui à l'origine était une délicate céramique de Sèvres ancienne pour laquelle il a fait fabriquer au Japon un gebuta et un shifuku (voir ci-après). Le résultat est tout aussi étonnant que somptueux : Orient et Occident réunis en même objet.
Du fait de sa précieuseté, le chaire est protégé par une pochette en textile appelé shifuku ( le terme original était : chaire no fukuoro 茶入の袋). Réalisée en soieries chinoises, d'autres tissus ont été par la suite employés pour la confection de cette pièce réalisée sur mesure et aux dimensions du chaire. Toujours à l'origine, chaire et shifuku étaient placés à l'intérieur d'un conteneur en bois ou en laque appelé hikiya (挽屋). Certains hikiya de karamono possèdent à leur tour un shifuku, mais qui ne constituait pas pour autant la protection ultime, puisque l'ensemble chaire + shifuku + hikiya + shifuku était placé au sein d'une ou plusieurs boîtes de protection (桐箱 kiribako. Ce terme généraliste désigne des boîtes réalisées sur mesure en bois de pauwlonia, bois réputé pour résister à l'humidité et aux attaques d'insectes), qui à son tour, pouvait être emballée dans un furoshiki (carré de tissu servant à emballer, protéger, transporter).
La Nature hostile nippone, son lot de catastrophes naturelles ou ses étés humides et chauds, seront, du moins en partie, probablement à l'origine de cette fièvre protectrice caractéristique de toute une culture qui n'appartient pas qu'au monde du thé.
à suivre... ( ou pas.)
Note : ce billet repose sur des recherches effectuées à titre personnel et n'est en rien exhaustif, ni catégorique.
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130410 - chadôgu (茶道具) > chashaku (茶杓 )
Le chashaku fut introduit au Japon depuis le continent (Chine plus précisément) comme l'ensemble des autres ustensiles nécessaires à la préparation du thé en poudre pendant la période Kamakura (1185–1333). Originellement cet accessoire réalisé en métal précieux (or, argent) pouvait être également sculpté dans un morceau d'ivoire et servait à doser les "médecines" (dont le thé faisait partie), on les appelait alors "saku" ou "chasaji" (茶匙). Ces saku étaient employés avec d'autres objets chinois importés (karamono - 唐物) par les moines lors des cérémonies de préparation du thé (cérémonies religieuses n'ayant rien à voir avec ce que l'on appelle communément aujourd'hui chanoyu). Puis, lorsque le thé se développa grâce aux plantations sur le sol nippon entre autres, la "boisson des immortels" gagna peu à peu toutes les strates de la société . Si les karamono restèrent l'apanage des plus aisés, l'apparition de "copies" japonaises (wamono - 和物) participa au développement et à la propagation du thé en démocratisant l'accessibilité aux ustensiles nécessaires à sa préparation (chadôgu - 茶道具).
Durant l'ère Muromachi (1336 - 1573), le moine Murata Shuko (1435-1490), maître de thé du Shogun Ashikaga Yoshimasa (1435 - 1490), père de la Culture dite "Higashiyama" dont le Kinkaku-ji est le symbole, serait le premier à s'être détaché du précieux modèle de saku chinois. Shuko posait ainsi les premiers fondement de ce qui allait devenir "sadô" (la voie japonaise du thé) et introduit dans sa pratique du thé une dimension esthétique proprement nippone. Son constat était le suivant : pourquoi importer à grand frais des objets de thé du Continent alors qu'il était aussi simple de les fabriquer au Japon ? Ainsi, il sculpta lui-même dans le bambou, matériau "pauvre"et "à tout faire" par excellence, un prototype de chashaku s'inspirant de la forme générale des saku de la Chine des Tang et des Song. Cependant, les noeuds ou autres "imperfections" du bambou étaient minutieusement évités afin que l'aspect final ressemble le plus possible à l'apparence lisse du métal ou de l'ivoire des saku chinois. Aucune convention à l'époque ne déterminait la forme que devait prendre un chashaku en bambou, comme semble l'attester ceux parvenus jusqu'à nous. Bien que Shuko soit plus particulièrement associé à un type de chashaku long et dépourvu de noeud, il en sculpta aussi d'autres de formes totalement différentes : en forme de gourde (hyotan 瓢箪), de feuille de bambou, à manche étroit ou large, ou encore possédant un noeud près de l'extrémité inférieure, voir en toute fin de manche.
Si l'on se réfère à l'historien Ikeda Hyoa, le positionnement précis du noeud ne semble pas avoir été déterminé avant l'apparition du prototype nakabushi (中節, litt. "noeud central") de Takeno Jôô (1502-1555), successeur de Shuko et futur maître du non moins célèbre Soeki (Sen no Rikyu, 1522 -1591) : tous les disciples de Jôô sculptaient déjà des chashaku de type nakabushi, mais il revient à Rikyu d'en avoir standardisé la forme telle que nous la connaissons aujourd'hui. Ceci étant, Jôô en mettant ainsi en valeur une caractéristique du bambou (le noeud) se démarquait encore plus du référant chinois et transformait l'acte de sculpter l'écope à thé en une véritable démarche artistique. Chaque chashaku sculpté était unique et reflétait les goûts et l'esthétique de son créateur.
Du temps de Rikyu, il n'était pas courant de donner des noms (mei) à cet instrument de thé, surtout s'il avait été sculpté à partir d'un morceau de bambou (ce type de chashaku n'étant censé être utilisé qu'une seule fois). Il n'était pas rare cependant qu'il soit offert après la rencontre de thé par le teishu (l'hôte) au shokyaku (invité d'honneur). Ainsi, ces chashaku étaient précieusement gardés par leur nouveau propriétaire, certains même comme de véritables reliques : plus le maître de thé l'ayant sculpté jouissait d'une grande renommée, plus le chashaku revêtait une valeur importante. Les noms trouvés sur les tsutsu (étui en bambou) de cette époque sont souvent relatifs à l'origine, au type ou au créateur (dont la signature, sakushamei, pouvait figurer sur le tsutsu) du chashaku. On trouve aussi parfois un kao, sorte de signature stylisée, de paraphe, du détenteur de l'objet en bas du tsusu. La tradition de donner un mei à cet ustensile ne semble se généraliser qu'à partir de Sen no Sôtan (1578–1658) petit-fils de Sen no Rikyu.
à suivre...( ou pas.)
Note : ce billet repose sur des recherches effectuées à titre personnel et n'est en rien exhaustif, ni catégorique.
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130307 -Kuchikiri-no-chaji / 口切の茶事
Petit bond dans le temps : Les températures devenant plus fraîches, c'est généralement dans les premiers jours de novembre que le furo (brasero portatif) est rangé et que le ro (foyer enterré) est ouvert. Kairo (ouverture du ro) marque le début de l'année d'un chajin (homme de thé). Durant cette période peut avoir lieu un des plus rares chaji qui existe, appelé kuchikiri. . L'année dernière Sôki sensei, mon maître de thé, a eu l'honneur et le privilège d'être invité au kuchikiri-no-chaji organisé au sein de notre école de thé, Sohen Ryu Shoden-an à Tôkyô. Honneur et privilège, car cette invitation reste un moment rare, on peut d'ailleurs lire à ce sujet dans le : Chado The Way of Tea (a japanese tea master's almanach) : " Thus a wabichajin used to say that if he could be a guest at it even once in his whole life, he would think it a great fortune and could be content to die that very day" !
(NdL : souhaitons cependant à l'ensemble des ces chanceux chajin une issue moins dramatique).
Dans les temps anciens, le thé récolté au printemps était stocké dans des jarres (壺 tsubo ou 茶壺 chatsubo) qui étaient ensuite enterrées (ou emportées en montagne) afin de les préserver des affres de l'été nippon . Aujourd'hui, les écoles de thé et tout chajin en ayant les moyens, laissent leur(s) propre(s) tsubo auprès de récoltants (chashi). Au moment de la récolte, les thés "nobles" qui serviront pour koicha (濃茶 thé épais) sont enfermés dans de petits paquets de papier et placés dans le tsubo. Ce thé dont chaque feuille a été dénervée à la main est appelé tencha (碾茶). On comble ensuite le vide laissé entre les paquets avec du thé en vrac qui servira pour usucha (薄茶 thé léger) appelé tsumecha (詰茶 litt : "thé de remplissage"). Enfin, l'ouverture du tsubo est refermée par un bouchon en bois lui même recouvert d'un papier encollé servant à sceller l'ensemble de façon hermétique. Lorsque le mois de novembre arrive, le "thé nouveau" stocké dans le tsubo, est prêt à être utilisé et pour ce faire il faut découper le papier scellant son ouverture. C'est de cet acte précis que découle le nom de kuchikiri qui pourrait se traduire par : "découper la bouche".
L'un des moments forts d'un kuchikiri-no-chaji reste l'utilisation du usu (臼 : meule, moulin, aussi appelé ishiusu 石臼 ou 茶臼 chausu). Le tencha étant constitué de feuilles séchées, il doit être moulu afin de pouvoir être préparé et consommé (le résultat est ce que l'on appelle matcha 抹茶 litt: "thé en poudre"). Un usu est constitué de 2 pierres de forme circulaire emboitées l'une sur l'autre et au travers desquelles passe en leur centre un éventuel axe en bois (voir schéma ci-contre). A l'aide d'une poignée amovible en bois recouverte d'une section de bambou on met en rotation la pierre du dessus dont la face interne est rainurée selon un motif qui n'est pas sans rappeler celui réalisé lors de la préparation des cendres d'un kôro (香炉) pour une séance de kôdô (香道, voie de l'encens). Ce motif évoquera également des images de roji aux amateurs de jardins japonais : il n'est pas rare en effet d'y trouver d' anciennes pierres de usu de grande taille utilisées en guise de tobiishi. On introduit le tencha au travers d'un trou situé sur le dessus du moulin, les feuilles vont alors descendre par gravité vers un fin espace situé entre les deux pierres du moulin où elles seront finement broyées puis expulsées sous forme de poudre vers la gorge creusée à la périphérie de la pierre du dessous .
Autre moment fort : tsubokazari (壺飾). Le teishu (l'hôte) a positionné le tsubo dans le tokonoma (alcôve honorifique) afin qu'il puisse être admiré par ses invités. Comme potentiellement tout objet de thé, le tsubo peut revêtir une certaine valeur (pécuniaire ou sentimentale), voire être dans certains cas extrêmes un meibutsu (名物 objet de grande renommée). Pour l'occasion l'ouverture est recouverte d'une précieuse pièce de soie (口覆 kuchiôi) maintenue par un cordon (飾紐 kazarihimo) savamment noué de manière décorative (茶壷の結び sakonomusubi) par le teishu. Deux autres cordons peuvent venir compléter l'ensemble, chacun des trois noeuds est alors noué de manière spécifique selon le principe Shin / Gyô / So que nous avons déjà évoqué au travers ces pages à maintes reprises. Le noeud situé sur le shomen (正面 la face avant) du tsubo sera toujours de type shin (真の結び shinnomusubi), c'est à dire le plus formel des trois.
Le thé dans la tradition de sadô est un partage. Principe extraordinairement mis en pratique par Sôki sensei qui a pris la peine de rapporter du Japon des sachets de tencha afin d'offrir à toutes les personnes auxquelles il transmet ses connaissances, l'occasion inespérée de participer à un kuchikiri-no-chaji, de moudre, de préparer et de goûter un matcha réalisé à partir du si rare et précieux tencha. Ainsi, tous les invités ont pu éprouver "physiquement" leur pratique du thé car à une époque où tout doit aller vite et tout venir facilement, il fallut beaucoup de patience et un peu de temps pour arriver à obtenir une quantité suffisante de ce précieux thé en poudre. Il y a quelques décennies à peine, le seul moyen d'obtenir le matcha, était d'actionner ce genre d'ustensile. Certes, il n'est pas aisé de nos jours de préparer systématiquement le thé de cette manière et pourtant… quel moment magique lorsqu'au bout de plusieurs dizaines de minutes, tout à coup, on voit apparaître la première "poussière de thé" à la commissure des pierres du usu ! Quel moment de paix l'on éprouve en actionnant de manière métronomique sa poignée. Quel moment délicat lorsque l'intense parfum du thé fraîchement moulu parvient doucement à vos narines. Et quel moment délicieux lorsque au bout de toute cette peine, on peut enfin en savourer sa texture si particulière. Nul doute que ce thé prend alors une saveur totalement inédite…
J'oubliais un détail d'importance : le fait de tourner le usu provoque un son qui n'est pas sans rappeler le chant d'oiseaux migrateurs. Pour ma part j'y ai reconnu celui des grues lorsqu'elles passent chaque année au dessus de mon petit jardin (les Landes accueillent de nombreuses colonies de grues cendrées en période d'hivernage). Et quelle agréable surprise lorsque le mei (銘 nom poétique) du tencha que nous avions utilisé fut révelé : 雲鶴 (unkaku, "grues dans les nuages") Hasard, coincidence ? Bien entendu non. Tout cela avait été orchestré par Sôki sensei qui par soucis d’harmonie nous présenta pendant haiken (拝見, le moment où les objets de thé sont présentés aux invités) le tustu (筒, étui) du chashaku qu'il avait choisi pour ce chaji et sur lequel était inscrit son mei en hiragana : かりがね (karigane) ce qui peut signifier "Oies Sauvages" (kanji : 雁金) ou également le "Chant des Oies Sauvages" (kanji : 雁ヶ音). Nul doute que le fait que la calligraphie du mei ait été réalisée en hiragana (sorte d'alphabet phonétique japonais) offre à tout un chacun de faire sa libre interprétation sur la question. Véritable "fenêtre ouverte" par laquelle s'engouffre avec délice l'esprit qui, comme les grues et les oies, s'envole alors vers un meilleur "ailleurs"...
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